Partir d’une collectivité (voir ma page à propos de l’auteur) dans laquelle on s’est investi bien au-delà du seul respect des horaires et de ce qu’il est convenu d’appeler l’investissement professionnel, n’est jamais simple. Cela est d’autant plus compliqué quand, au lieu de s’en tenir uniquement à la cérémonie convenue du départ, on souhaite dire comment ces années ont été vécues et, mais cela m’a été permis sincèrement, proposer à la réflexion des pistes pour une amélioration du travail collectif. J’y ai été autorisé et je me suis donc permis de présenter ce petit travail ci-dessous que j’ai développé oralement.
Il est facile de donner des conseils surtout quand on n’a pas soi-même exercé l’activité concernée. Un cadre dirigeant de collectivité locale ne doit pas confondre son travail avec le rôle d’un élu, mais la proximité de travail au jour le jour avec les élus oblige chacun, de part et d’autre, à accepter une certaine forme de porosité qui s’amplifie au fil du temps de l’action et l’émergence d’une complicité instinctive. Le technicien en l’absence de son élu doit toujours savoir comment il ou elle aurait agi. Il doit donc pour agir par délégation soupeser tous les aspects des actions posées. Cette proximité organique incite également à beaucoup de rigueur. Donc, sans être élu, il est évident que le cadre dirigeant peut au moins à son niveau avoir une vision de la façon dont peut se dérouler un mandat électif en prenant appui sur ce qui a été fait et comment, peut-être, améliorer ce qui va être fait par la suite. Au départ, le plus important est de comprendre ce qu’est la fonction ou le ‘’métier’’ d’élu. En prenant en compte donc l’extrême investissement, en plus souvent d’une activité professionnelle prenante, qui est la règle pour beaucoup d’élus, comment arriver à concilier une activité municipale qui est grande consommatrice de temps avec les habitants, de réunions nombreuses avec les services municipaux et les partenaires et demander en même temps du recul pour l’analyse et la mise en perspective des idées comme des projets. En prenant en compte cette dimension il me semble important, à partir de l’expérience récente, de proposer des pistes de travail. Cela n’est pas et ne peut être un exercice facile pour eux. Je me suis donc livré à un petit exercice dans le genre ‘’si j’étais un élu’’. Je résume donc en quatre points courts ce qui me semble possible de mettre en place :
Il faudrait à mon avis, d’abord et avant tout, assurer une présence active. C'est-à-dire basée non pas uniquement sur la présence physique mais sur un investissement continuel sur les dossiers même à distance. L’utilisation des outils informatiques (courriers électroniques et base documentaire consultable par un intranet) permet aujourd’hui plus facilement de suivre ses dossiers. En cas d’absence, par exemple, les services continuent à travailler en temps décalé avec les élus et à proposer des solutions par un système de prise de décisions par défaut : ne pas répondre formellement à une sollicitation de ses services vaut acceptation sous 72 heures (par note ou mail). Cela permet aux services d’informer, de proposer et de s’engager rapidement sur les dossiers car l’élu qui a lu l’information n’est pas obligé d’y répondre s’il en est d’accord. Cette disposition accélère considérablement le rythme des décisions. Organiser ensuite également, et c’est indispensable, des réunions régulières ritualisées : avec un même ordre du jour comprenant les points d’information, le suivi de certains dossiers, le traitement politique des courriers à la population, les échanges informels. Avec ou non un relevé de décision. L’idéal c’est d’en prévoir toutes les semaines (même pour une demi-heure et par téléphone éventuellement !) mais deux fois par mois donnent plus de temps à chacun. Bien entendu cela ne reste valable que pour les dossiers courants. Pour les ‘’grands dossiers’’, il est important de régulièrement prendre le pouls de toutes les personnes intéressées au dossier par la délibération collective (Bureau municipal) ou assurer la perméabilité avec les autres directions (la fameuse ‘’transversabilité’’) voire l’élaboration et/ou la validation stratégique (Comité de direction ; direction générale).
Il faudrait, également, trouver la juste distance avec l’administration. Le système communal français actuel repose sur l’élection de citoyens qui n’ont pas, a priori, de compétences particulières. Ils sont aidés par une administration mise à leur service. Pourtant un élu doit avoir un comportement de professionnel sans en être un. Ce qui veut dire indiquer la voie, choisir parmi les solutions proposées par les services, demander et obtenir la sécurisation du montage du ou des projets à tous les niveaux. Chacun doit donc rester à sa place. Une mauvaise appréciation de la place de chacun, si elle est ne peut être exclue car le code des collectivités est relativement vague sur ce point, peut entrainer une déresponsabilisation de l’administration et son corollaire un surinvestissement des élus mais en définitive en affaiblissant la force de frappe que doit être l’alliance des deux : le politique et le technique, car l’un prend tout l’espace sur l’autre. Et l’inverse est de même nature. Il faut donc organiser la meilleure délégation possible qui doit reposer sur les obligations légales, les rapports de confiance mutuels et une pratique vigilante pour éviter les inévitables dérives survenant progressivement. Tout en se rappelant que le chef de l’administration est légalement le maire qui a donné délégation de direction et de coordination de l’administration au Directeur Général des services (Décret du Conseil d’Etat N°87-1101 du 30 Décembre 1987). Pour éviter un mauvais départ, un séminaire peut être organisé en début de mandat, avec un animateur extérieur, pour expliquer le cadre global et surtout mettre en place les procédures adéquates (notes d’organisation et charte managériale des élus). Et puis au fur et à mesure du temps, il faut sans cesse, si on se marche sur les pieds, tout simplement en discuter et revenir aux fondamentaux.
Il est nécessaire, de plus, que les échanges dans et entre les différents niveaux de la collectivité soient ouverts, francs et respectueux. Les non-dits, le manque d’approfondissement et la volonté de synthèse à tout prix sans véritable débat sont préjudiciables à l’intellectuel collectif de toute organisation. Il faut savoir dire les choses, au bon moment et sous la bonne forme. Cela n’est pas facile mais reste indispensable. L’accumulation de sentiments en retrait et d’analyses inachevées risque d’entraîner tout exécutif vers des séances creuses au rituel convenu. Il ne faut peut-être pas tout dire, et à tout moment mais il ne faut pas reculer toujours sous le prétexte que ce n’était pas le bon moment. Car effectivement après ce moment risque de ne pas revenir. Dire les choses qui nous tiennent à cœur c’est même une obligation de transparence, de loyauté et d’efficacité. Quand on est en désaccord on doit pouvoir le dire. Une organisation qui tait ses désaccords ou qui sciemment ou inconsciemment ne les faits pas remonter, est faible et devient inefficace. Il est nécessaire de mettre en place une pédagogie de l’action qui repose effectivement sur la concertation la plus aboutie. Puis après quelque soit la décision prise il faut qu’elle soit appliquée sauf si elle est contraire à la loi. Et si elle heurte profondément ses sentiments personnels, il faut en tirer les conséquences.
Il faut, enfin, donner du sens à ses actions. Ce n’est pas le plus simple. Mais on remarque que souvent tout est lié. On ne peut donc prendre des décisions au jour le jour sans qu’elles soient reliées à un ensemble plus vaste qu’on l’appelle idéologie, sens ou conception générale. Un élu local est aussi un médiateur de la pensée. Interpellé par ces concitoyens, sa parole est aussi demandée sur des sujets qui dépassent parfois le strict mandat qui lui a été confié. Il ne s’agit pas de disserter sur l’évolution de la démocratie en Chine ou en Russie mais de relier ses actions quotidiennes dans un ensemble explicatif global et cohérent. Les récentes décisions de la part des pouvoirs publics d’achever la décentralisation, de simplifier les procédures d’urbanisme (réforme du permis de construire), de modifier substantiellement les priorités des agences de l’eau comme la mise en place de la prestation de service unique pour les crèches, toutes ces actions sont cohérentes et s’inscrivent dans un processus global. Le comprendre est primordial. L’accepter fait partie des vertus républicaines. Le mettre en place est une obligation légale. Mais l’expliquer à sa façon pour que à terme et à d’autres niveaux de décisions ces nouvelles politiques publiques puissent être éventuellement modifiées, est très important. Toute action nécessite une vision. Celle-ci est forcément le produit de ses conceptions personnelles, de son vécu, de son ressenti, de ses lectures et de ses profondes motivations. Alors autant organiser sa pensée, la confronter au réel et l’approfondir par des lectures, des discussions quitte à changer d’avis, à rompre même s’il le faut…
Voilà en quelques mots un résumé d’une soirée d’échanges, que je crois sincères et respectueux. Mon dernier message, qui ne sera pas subliminal, sera finalement qu’il faut accepter la réalité mais pas la fatalité. Un ancien Préfet du département de l’Essonne disait toujours :’’voir loin et commander court’’. C’est une très bonne expression que je fais mienne.
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