Dans cet essai sur la civilisation libérale Jean-Claude MICHEA (JCM) développe une thèse originale dont le résumé serait que finalement il ne peut aujourd’hui y avoir d’alternative au libéralisme car, droite de gouvernement (accumulation des richesses) et gauche de gouvernement (accumulation des droits) en France, seraient finalement sur la même ligne conceptuelle et donc ne pourraient que produire les mêmes politiques publiques.
Pour étayer sa thèse JCM repart à l’origine du libéralisme. Au moment des guerres civiles dîtes de religion des 16 et 17ème siècle, le projet libéral moderne a été de construire une issue politique à ce déferlement de violence (voir également ma note du 09 janvier 2008 sur la naissance de la modernité). L’idée donc qu’un gouvernement devait être ‘’axiologiquement neutre’’ basé sur des ‘’mécanismes impersonnels’’ que sont le Droit et le Marché, a germé dans l’esprit des gouvernements. Progressivement le marché et le droit, qui sont liés comme les doigts de la main, ont été érigés en nouvelle morale permettant une coexistence pacifique entre les citoyens. Le bonheur, la morale et la religion vont donc petit à petit glisser dans la sphère privée, celle qui peut être non-neutre. Concrètement cela veut dire que ces trois notions sont libres de prospérer selon leur définition privée dès lors qu’elles ne nuisent pas à autrui.
L’Etat neutre libéral s’interdit donc d’avoir une définition philosophique de l’intérêt général. Ce qui va le conduire à judiciariser la vie publique au détriment d’une conception engagée de la vie publique. Ainsi, et pour prendre un exemple particulièrement saillant, des juristes libéraux pourront tout simplement récuser le procès de Nuremberg au motif que la notion de ‘’crime contre l’humanité’’ impliquerait une notion de ‘’dignité humaine’’ qui relève de conceptions métaphysiques particulières et donc, a contrario, mais c’est moi qui le rajoute en l’interprétant, non universelles. Par ce biais on glisse toujours vers le rapport de force à un moment donné, donc qui dépend du plus grand nombre, qui peut être basé uniquement sur l’émotion de l’opinion publique appropriée ou interprétée par les gouvernants (droit de grève contre continuité du service public ; droit au blasphème contre respect du dogme religieux ; droit du berger contre introduction du loup dans les Pyrénées ; etc). Pour JCM les seules normes communes universelles et donc neutres de la société libérale deviendront finalement celles du marché, celles de l’intérêt mutuel : je vends, j’achète, je compte. Il n’y a donc rien de plus neutre que le culte de la croissance et de la consommation. Le capitalisme sera donc amoral comme l’écrit André Conte-Sponville, c’est à dire hors de la morale (voir mes notes interrogatives et réticentes des 05 et 07 janvier 2008).
Mais pour JCM l’inverse est également faux : toutes les sociétés qui ont décrété impérativement ce qu’est le bien ont mal fini. La tyrannie du bien est à rejeter catégoriquement. Quitte à devoir choisir, il préfère finalement l’égoïsme tranquille des libéraux à la volonté de puissance déchaînée des fanatiques du soi-disant bien.
Evidemment les solutions de remplacement sont à construire. D’abord par une résistance radicale à cette logique de ‘’libéralisation intégrale’’ de la vie humaine. Puis, mais comme chez beaucoup d’auteurs les propositions alternatives restent sommaires voire même restent dans le registre des vœux pieux, il faut pour JCM construire un contexte politique, social et culturel qui favorise indirectement les dispositions à l’égalité, l’entraide et l’amitié. Il fait référence notamment à la common decency de G. Orwell selon laquelle les couches populaires seraient dépositaires ( ?) d’un code moral inné (de classe rajouterais-je) qui est susceptible de résister à l’idéologie libérale et permet un vivre ensemble. Il les appelle les valeurs humaines du socialisme originel. Il cite à cet égard les travaux de Marcel Mauss sur le don (je ferais probablement une note dessus ultérieurement). Il prône enfin une société socialiste dans laquelle chacun pourrait vivre d’une activité ayant un sens humain, bref une société égalitaire, solidaire et amicale qui inviterait les hommes à donner le meilleur d’eux-mêmes qui paraît à JCM toujours moralement supérieure et infiniment plus désirable. Peut-on lui donner tort ?
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