L'association Utopia a organisé le 18 novembre 2008 une conférence sur le thème "Peut-on envisager concrètement une sortie du capitalisme ?"Cette conférence était présentée par Thomas Coutrot, économiste membre du Conseil scientifique d’Attac-France. Les discutants étaient Roger Martelli du PCF et Maryse Dumas de la CGT. Je n'ai pu malheureusement m'y rendre mais j'ai pu récupérer une note du même Thomas Coutrot qui devait servir de support à cette conférence. Même si je ne suis pas d'accord avec toutes ses propositions, je me permets de reproduire ici sa conclusion qui présente l'idée d'un socialisme civil.
Comme l’explique le sociologue nord-américain Erik Olin Wright, les sociétés modernes sont structurées autour de trois pôles fondamentaux : l’économie, l’État et la société civile. Dans le capitalisme, l’économie (le capital) exerce son hégémonie sur l’État et sur la société civile. Dans le « socialisme » bureaucratique l’État domine, absorbe même l’économie et la société civile. Dans le « socialisme civil », c’est la société civile qui assure son hégémonie sur l’économie et sur l’État. Le capitalisme recherche la marchandisation généralisée, le « socialisme » bureaucratique se fonde sur l’étatisation de la société, le socialisme civil peut être décrit comme une entreprise de civilisation. Il ne décrète pas l’abolition de l’État ou du marché, mais organise progressivement (et à très long terme) leur dépérissement par leur socialisation. La stratégie ici ébauchée amène une remise en cause des institutions centrales du capitalisme : le despotisme du capital dans l’entreprise, la liberté (pour le capital) d’exploiter la main-d’œuvre par les outils du chômage et de la précarité, la liberté (toujours pour le capital) de circuler et de s’investir où il l’entend. Elle s’attaque donc aux rapports de propriété capitalistes eux-mêmes. Elle s’attaque tout autant aux mécanismes de la domination étatique, à l’accumulation privative de capital politique. C’est donc une stratégie révolutionnaire. Mais il s’agit aussi et d’abord d’une stratégie réformiste. Aucune des avancées démocratiques évoquées n’est par elle-même une rupture de l’ordre capitaliste. La démocratisation et la socialisation de l’économie résulteront d’abord d’une série d’avancées démocratiques partielles combinées qui sapent le pouvoir du capital. Grâce à ces avancées, la société civile fera son apprentissage collectif de la gestion de l’économie et de l’État. Jusqu’où le capitalisme pourra-t-il s’adapter ? Jusqu’où les élites économiques supporteront-elles de voir leur pouvoir désarticulé, encerclé, contrôlé de l’intérieur et de l’extérieur, du dessus et du dessous, par des mouvements sociaux et des acteurs politiques déterminés à faire valoir le principe démocratique dans toutes les sphères de la société ? Il est bien trop tôt pour se poser ce genre de questions. C’est pourquoi le clivage traditionnel entre réformistes et révolutionnaires n’est pas vraiment opératoire dans la période actuelle. Personnellement, je pense que si le capital commence à perdre cette guerre de positions, il réagira violemment. Il faudra alors que la société tranche la question des droits à la propriété privée des grands moyens de production. La société civile pourra alors instaurer son hégémonie – celle de la démocratie - sur l’économie et sur l’État. Mais aujourd’hui le clivage pertinent à gauche est autre : aménager l’actuel ordre néo-libéral sans contester le pouvoir de la finance, ou bien viser de nouvelles avancées démocratiques, fondées sur la participation active des citoyens aux décisions qui les concernent dans tous les domaines ? Rénovation du néo-libéralisme ou extension de la démocratie ? Tel est le clivage de court et moyen terme. A long terme, si la transformation sociale s’approfondit, elle obligera probablement les sociétés à choisir entre capitalisme et démocratie. Comme vous le voyez, je crois comme vous à la vertu des utopies, mais des utopies réalistes, ancrées dans le mouvement réel des choses et dans la longue durée.
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