Le Syndicat Unifié des impôts (SUI) sous la plume de Vincent Drezet (VD) dresse dans ce livre un état de la fiscalité en France en décortiquant consciencieusement l’évolution de notre fiscalité depuis le milieu des années 80. Ce livre est d’autant plus intéressant, pour toute personne non spécialiste, qu’il donne des pistes de réflexion fort précieuses le tout écrit dans un style simple et qui évite les polémiques voire les provocations inhérentes à toute interrogation en la matière.
La question éternelle que l’on se pose toujours est de savoir si l’on paye trop d’impôt. Et inexorablement la réponse est la même : oui. Or ce oui est bien sûr un oui individuel qui vient de la nuit des temps et qui ne correspond absolument pas à une préoccupation, bien entendu, collective. Même si avoir une réduction d’impôt peut faire plaisir, même si dans certains cas particuliers on ne doit pas s’empêcher de pouvoir le faire, il reste cependant une vérité à intégrer qui consiste à se demander en cas de baisse d’impôt qu’elle en est la contrepartie. Si, à titre individuel, mon salaire baisse j’aurais donc une baisse de ma consommation personnelle. Il en est de même pour l’impôt. Sa baisse pour les pouvoirs publics implique peut-être dans un premier temps pour compenser la perte de recettes de procéder à une augmentation de la productivité du service rendu (mécanisation, informatisation, etc) ou plus de rationalisation des activités publiques voire de décentraliser. Mais cette compensation atteindra vire des limites au delà desquelles le service rendu ne sera plus le même.
Si on peut le comprendre même personnellement, il convient cependant de comprendre en quoi il faut dépasser cet égoïsme social et en quoi finalement on peut défendre l’idée que payer des impôts veut dire que l’on s’enrichit collectivement. Au moment de la dernière élection présidentielle, et face à la démagogie sur le thème les Français payent trop d’impôts, un appel sous la forme d’une pétition avait été lancé sous la dénomination de ‘’pourquoi nous consentons à l’impôt’’ : www.liberation.fr/actualite/evenement/evenement1/233327.FR.php
VD introduit d’abord son propos en rappelant que tout système fiscal procède d’un choix de société dans la répartition des richesses. L’impôt est un instrument de souveraineté qui permet la mise en œuvre de choix collectifs. Mais il est d’abord perçu comme une contrainte car sa contrepartie est trop souvent absente de cette perception, qui alimente la défiance voire un discours démagogique. Le présupposé initial des gouvernants a été de penser que l’élargissement de la sphère marchande qui est plus efficace dans la création de richesse peut être étendu au secteur public moins performant, pour le redynamiser.
Ainsi depuis le milieu des années 80 la France comme ses partenaires économiques s’est engagée dans une concurrence fiscale à la baisse. L’impôt sur le revenu y a baissé de près de 11 points en moyenne au contraire de la TVA, l’impôt le plus injuste, qui a eu tendance a progressé. On arrive donc à la situation que pour cette TVA, les 10% les moins riches en payent 8,1% alors que les 10% les plus riches en payent seulement 3,4% du total encaissé par l’Etat ! Or c’est celui là justement qu’il faudrait diminuer pour une meilleure justice fiscale.
Cette baisse généralisée de la baisse des impôts a été orchestrée sous la double motivation du maintien de l’attractivité du pays et de la nécessaire augmentation de la consommation des ménages. Or sur ses deux points il est quasiment prouvé que ces baisses successives, la dernière étant de juillet 2007, n’ont pas d’impacts réels sur l’activité économique. D’une part aucune étude sérieuse n’a jusqu’à maintenant démontré que l’attractivité Française reposait principalement sur sa fiscalité. Bien au contraire la France est un pays où les investissements internationaux y sont massifs et ce depuis des années sans faiblir. VB avance le concept d’attractivité globale pour expliquer que la seule fiscalité ne peut être un facteur principal du rang de la France. D’autre part la consommation des ménages en cas de baisse d’impôt n’est pas forcément relancée car les bénéficiaires préfèrent investir (voire ma précédente note du 20 janvier sur l’endettement).
Au total voici ci-dessous un petit florilège des mesures prises, des conséquences induites directement et des solutions voire des pistes de réflexion initiées par l’auteur.
Pour l’impôt sur le revenu (IR), la réduction du nombre de tranche (de 12 en 1993 à 5 en 2007) a réduit sa progressivité et a diminué son rendement. La véritable simplicité du système aurait été plutôt d’élargir les bases de son assiette. La réduction des inégalités s’en serait trouvée automatiquement réduite car symétriquement les facultés contributives s’accroissent avec le revenu. Or c’est l’inverse qui a été fait. Les conséquences sont désormais bien connues. 86% des baisses ont profité au 10% les plus riches. L’INSEE a démontré que sur les exercices budgétaires 2000, 2002 et 2003 les allégements fiscaux ont creusé les déficits publics. La relance de la consommation attendue par contre n’a pas eu lieu. L’endettement des ménages est passé au contraire de 54,3% en 2002 à 64% de leur revenu brut en 2005. Pour l’auteur en élargissant l’assiette et en ré-augmentant le nombre de tranches le rendement fiscal annuel serait de l’ordre de 20 milliard d’€.
En ce qui concerne le patrimoine,10% des ménages détiennent 46% du patrimoine total dont 59% du patrimoine financier. Le coût des mesures dérogatoires de la fiscalité de l’épargne est de 13 milliards d’€ par an. L’auteur propose une idée originale : appliquer un taux de 1 à 2% sur l’ensemble des 8 000 milliards de patrimoine des ménages. Le rendement fiscal serait donc au minimum de 80 milliards par an. Il propose également d’envisager de ne taxer que seulement les plus values réalisées comme aux Pays-Bas (6%).
Pour l’impôt sur les sociétés, l’évolution des taux nominaux sur les sociétés est passée de 45% en 1986 à 33,33 en 2006. L’auteur propose donc pour les sociétés de faire des taux différenciés suivant la taille des entreprises et surtout redéfinir son calcul dont par exemple la taxe professionnelle qui est payée à 60% par l’industrie alors qu’elle ne contribue que pour 40% à la valeur ajoutée totale.
Enfin toute catégorie confondue, la fraude fiscale est évaluée sur la période 2004/2005 entre 45 et 50 milliard d’€ par an. La Commission Européenne a évalué que les 30 000 vérificateurs fiscaux sur l’ensemble des pays de l’Union auraient besoin de 40 ans chacun pour contrôler l’ensemble des 24 millions d’assujettis à la TVA…
La conclusion n’est pas évidente car globalement l’administration fiscale (dixit l’auteur) a elle-même bien du mal à calculer les pertes potentiels si nous étions restés aux différents taux par exemple de l’année 1986. D’après mon calcul, à partir des quelques chiffres produits ici, de ceux que je n’ai pas cités et en considérant que l’on revient en arrière que pour une partie des exonérations il me semble qu’une recette globale approchant les 80 milliards d’€ annuel n’est pas impossible. De quoi résorber les différents déficits publics dont ceux de l’Etat (38,4 milliards prévus en 2007) mais également des comptes sociaux (sécurité sociale 12 milliards et régimes spéciaux 5 milliards).